Balzac La Comédie Humaine Analyse de texte Etude de l'œuvre 100 analyses de texte de la Comédie Humaine de Balzac Description détaillée des personnages Classement par 7 types de scènes 26 tomes étudiés en détail

Une ténébreuse affaire

LA COMEDIE HUMAINE – Honoré de Balzac XIIe volume des œuvres complètes de H. DE BALZAC par Veuve André HOUSSIAUX, éditeur, Hébert et Cie, Successeurs, 7, rue Perronet, 7 – Paris (1877)

Scènes de la vie politique

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        Sur la route de Troye

  UNE TENEBREUSE AFFAIRE

Scènes de la vie politique  

Analyse et histoire Une ténébreuse affaire répond parfaitement, au contraire, à la définition que Balzac faisait donner des Scènes de la vie politique. Mais il faut, pour le comprendre, exposer le sujet et les circonstances politiques dont Balzac s’est inspiré. Le sujet est l’histoire d’une erreur judiciaire qui fut célèbre en son temps, l’exécution le 3 novembre 1801 à Angers de deux jeunes gens, Auguste-Marie du Moustier de Cauchy et son jeune beau-frère âgé de dix-neuf ans, Jean-David-Charles de Mauduison, ainsi que de leur complice Etienne Gaudin, condamnés par un tribunal d’exception pour l’enlèvement du sénateur Clément de Ris. Cet enlèvement avait eu lieu le 23 septembre 1800. Le sénateur, personnalité politique connue, avait été enlevé dans son château de Beauvais, près de Tours, par cinq inconnus masqués, séquestré pendant trois semaines et retrouvé sain et sauf le 11 octobre, par trois agents secrets envoyés en mission par le ministre de la police. Trois mois plus tard, le 18 janvier 1801, après une enquête de la police politique on arrêtait Cauchy et Mauduison, anciens Chouans qui s’étaient soumis après l’édit de pacification, et le 11 mai 1801, leur complice Gaudin. Le procès commença à Tours le 15 juillet 1801 devant un « tribunal spécial ». Le sénateur Clément de Ris avait refusé de porter plainte et refusa également de se présenter à l’audience. Cette absence parut bizarre. Le « tribunal spécial » s’abstint de condamner et demanda un supplément d’information. Ce premier jugement fut annulé par la Cour de cassation. Un second procès commença devant un autre « tribunal spécial », celui d’Angers, le 23 octobre 1801, et se termina par la condamnation à mort des trois principaux accusés. Le verdict fut rendu le 2 novembre. En vertu de la législation relative à ces tribunaux, la sentence était sans appel et sans recours en grâce. Les jeunes gens et leur complice furent exécutés le lendemain. Cette affaire avait eu lieu à Tours au moment où le père de Balzac y était un fonctionnaire important, lié d’étroite amitié avec le général de Pommereul qui venait d’être nommé préfet du département le 27 février 1801. Il est à peu près certain que Balzac connut par son père et par le général de Pommereul des détails qui n’avaient été révélés à personne. Une partie de ces faits furent rendus publics en 1828 dans les Mémoires de la duchesse d’Abrantès, à cette date maîtresse de Balzac et probablement renseignée par lui. Telles sont les circonstances. Et voici ce que Balzac en a fait. Il construit un drame en trois épisodes. Dans le premier, les jumeaux de Simeuse, émigrés, appartenant à l’armée de Condé, propriétaires d’un immense domaine confisqué et vendu comme « bien national », ont franchi secrètement la frontière pour se mêler à une conspiration qui doit éclater à Paris. La conspiration est découverte, ils sont cernés dans la forêt de Nodesme, partie de leur ancien patrimoine, mais ils parviennent à s’échapper grâce à leur cousine Laurence de Cinq-Cygne et à l’ancien garde-chasse de leur domaine, Michu, qui leur est secrètement dévoué. Date de ce premier épisode : septembre 1803.

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          Corentin

Le deuxième épisode raconte l’enlèvement du sénateur Malin de Gondreville, copiant les principales circonstances de l’enlèvement du sénateur Clément de Ris. Date de cet épisode : la nuit de la mi-carême de l’année 1806. Cet enlèvement permettra la revanche du policier Corentin qui avait été joué par Laurence de Cinq-Cygne et Michu lors de l’évasion des Simeuse. Par une coïncidence, les jumeaux de Simeuse et Michu n’ont pas d’alibi pour la nuit de l’enlèvement. En effet, cette nuit-là, ils rapatriaient la fortune des Simeuse cachée dans les bois par Michu lors de l’arrestation des parents Simeuse et de la fuite des jumeaux. Des détails, tel celui de donner congé à tous les domestiques pour fêter la mi-carême (pour pouvoir procéder en tout incognito au transfert du trésor) font porter sur eux les soupçons. Ils sont arrêtés et accusés de la séquestration du sénateur. Le troisième épisode est le procès des jumeaux de Simeuse et de Michu. Date du procès : avril 1806. Balzac mêle les deux procès du drame réel en un seul qui est distribué en deux journées. Un coup de théâtre entraîne le vote du jury : Le sénateur se présente en tant que témoin au tribunal et confirme que la personne qui venait le nourrir dans la retraite où il était emprisonné n’est autre que Marthe, la femme de Michu. Lors d’un échange de paroles alors qu’il recevait de la nourriture de ses ravisseurs, il a reconnu sa voix. Marthe a été perdue par les manigances de l’agent secret de Fouché, Corentin, qui pour servir les intérêts du gouvernement, fait porter à la famille de Simeuse la culpabilité du complot arrangé par lui avec le soutien du ministre de la police Fouché. Les jumeaux de Simeuse sont condamnés à vingt ans de bagne, Michu, accablé par des préventions de l’opinion, est condamné à mort. Laurence de Cinq-Cygne demande à l’Empereur la grâce des jumeaux qu’elle lui arrache sur le champ de bataille la veille de la bataille d’Iéna. Mais l’empereur ne promet rien pour Michu que Laurence croyait sauver comme les autres et qui est guillotiné.

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   Les assises de Troyes

Une conclusion, placée vingt-six ans plus tard, en 1832, révèle les calculs de Fouché et donne le secret du drame qui est en même temps le secret de l’enlèvement du sénateur Clément de Ris et l’explication de l’exécution du duc d’Enghien. Pourquoi ces changements ? Balzac s’en est justifié plus tard en expliquant que la réalité la plus dramatique n’offre jamais autant de pathétique et de suspense que le roman. Le romancier, dit-il, a le droit de la modifier pour la rendre plus émouvante. Il en a même le devoir parce que son récit doit montrer les passions et les types humains qui caractérisent une époque : c’est par cette transposition seulement que son roman devient une véritable page d’histoire. Ces deux préoccupations semblent différentes : en réalité, elles se rejoignent. Pourquoi la falsification des dates ? parce qu’il faut rendre les jumeaux de Simeuse intéressants en les rendant héroïques. Trois condamnés innocents pris au hasard sont seulement des victimes. Ils n’intéressent que si on les connaît. On ne les connaît, on ne s’intéresse à eux que s’ils représentent quelque chose d’émouvant : ici, la fidélité au roi, la fidélité quand même. D’où le lien avec la conspiration de Polignac et Rivière, dramatique en elle-même à cause du souvenir de Cadoudal et de Pichegru. D’où la date du premier épisode, qui permet de montrer des personnages typiques de la « résistance » à Bonaparte, c’est-à-dire un certain esprit historique de ces années là. En même temps, ce premier épisode montre un échec de l’agent secret employé par Fouché, Corentin, qui n’a pu intercepter les Simeuse qui se dirigeaient vers Paris, et qui a donc une revanche à prendre sur eux et sur ceux qui les ont aidés, Laurence de Cinq-Cygne et Michu. Pourquoi le changement de date de l’enlèvement ? Parce qu’il permet la revanche de Corentin, c’est l’élément dramatique. Mais en même temps parce qu’il permet de montrer un antagonisme historique, celui qui oppose les acheteurs de biens nationaux nécessairement liés au nouveau régime et les anciens propriétaires de ces domaines, nécessairement partisans de la « résistance » et de la restauration de la royauté. L’enlèvement du sénateur Clément de Ris, s’il n’a pour objet que de récupérer des documents compromettants pour Talleyrand et Fouché, n’est qu’un épisode qui n’a pas de lien organique avec l’arrestation et le procès des jumeaux de Simeuse. La réalité authentique mêle des événements étrangers l’un à l’autre et ne fournit donc pas d’unité dramatique, de même qu’elle ne comporte qu’une anecdote et non une vision de l’histoire. Pour que les deux événements, l’enlèvement et le procès des gentilshommes soient liés, il faut que l’enlèvement apparaisse comme une vengeance ou un chantage de la famille dépouillée. D’où la transformation de l’incolore Clément de Ris, qui n’a dépouillé aucune famille puissante, qui est simplement un haut personnage peureux et très ennuyé, ne comprenant rien, et d’autant plus embarrassé qu’il avait déjà détruit lui-même les documents que ses ravisseurs recherchaient : A sa place, Balzac invente un Malin de Gondreville, sénateur lui aussi, mais retors, avide, implacable, qui s’est emparé de l’immense domaine et de la forêt quasi royale qui appartenaient aux Simeuse et qui n’aura la pleine possession des biens qu’il a acquis que s’il se débarrasse des héritiers légitimes. Cette haine de Malin de Gondreville contre les Simeuse est à la fois un élément dramatique, un élément d’unité de la double action et en même temps un contraste historique qui pose les uns en face des autres, des personnages typiques de l’époque post-révolutionnaire, les profiteurs du nouveau régime acheteurs de biens nationaux disposant d’une clientèle locale, et les anciens maîtres ayant pour complices leurs serviteurs d’autrefois.

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      Au château de Cinq Cygne

Ainsi l’intrigue imaginée par Balzac devient à la fois un duel dramatique et une page d’histoire qui montre en effet des vies mises en danger par les passions du temps et des personnages typiques représentant ces passions nées des événements récents. C’est exactement la définition donnée par Balzac des Scènes de la vie politique, « des affections personnifiées, les résistances du moment représentées par des hommes…les contrastes produits par les intérêts particuliers qui se mêlent à l’intérêt général ». Et le dénouement montre aussi ce qu’il annonçait, un exemple de « l’effroyable mouvement de la machine sociale » qui broie des vies privées qui se trouvent par hasard sur la route des passions soulevées par les événements. C’est exactement ce qu’avait voulu faire Walter Scott, le premier modèle de Balzac, quand il représentait en Cédric le Saxon, en Ivanhoé, en les « puritains d’Ecosse » les personnages les plus représentatifs des drames de l’histoire d’Angleterre. Ce résultat est obtenu au prix de quelques bavures dont la plus grave est la coïncidence sur laquelle repose tout le procès, le fait que l’enlèvement se produit, par hasard et sans que les policiers puissent le savoir, pendant la nuit ou les Simeuse et Michu n’ont pas d’alibi. Ces bavures ont peu d’importance. Ce que le lecteur retient de cet admirable roman policier, l’une des plus belles œuvres de Balzac, c’est le souvenir d’un des plus émouvants personnages féminins de Balzac, cette Laurence de Cinq-Cygne, si pure, si implacable, si tendre, qui fournira plus tard à Claudel, sa comtesse Sygne de Coûfontaine dans l’Otage. Et c’est aussi le poème de la fidélité et de l’intransigeance. Ces combattants de la nuit, tous sublimes, tous animés du même esprit de sacrifice, « sujets » de la famille de Simeuse comme on est « sujet » d’une patrie secrète, sont trop proches du romanesque de notre temps pour que les lecteurs d’aujourd’hui n’en soient pas aussi touchés que les lecteurs de Balzac qui se souvenaient des drames encore proches de la Révolution et de la Chouannerie.

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                 Michu

Œuvre datée par Balzac Paris, janvier 1841. Source analyse/histoire : Préface recueillie d’après le texte intégral des œuvres de la Comédie Humaine (tome XVIII) publié par France Loisirs 1985 sous la caution de la Société des Amis d’Honoré de Balzac.

Les personnages MICHU : Intendant des Simeuse, guillotiné en 1806. Son fils François, né en 1793 deviendra procureur du Roi à Arcis. François épouse une Girel. SIMEUSE (de) : « Ximeuse est un fief situé en Lorraine. Le nom se prononçait Simeuse ». Cette famille a compté un marquis de Simeuse qui épouse sous Louis XIV, une veuve Cinq-Cygne. Deux fils, un vice- amiral, le deuxième Jean, épouse Berthe de Cinq Cygne. Ils seront exécutés tous les deux en 1792. De cette union il résulte deux frères jumeaux, Marie-Paul et Paul-Marie, nés en 1773. Tués tous les deux en 1808 (Voir Une Ténébreuse Affaire). CINQ-CYGNE : (Duinef de) Famille noble de Champagne, représentée par : Une veuve Cinq-Cygne, qui sous Louis XIV, épouse un Simeuse ; Berthe de Cinq-Cygne épouse Jean de Simeuse, d’où deux fils, Marie-Paul et Paul-Marie jumeaux ; Un comte de Cinq-Cygne, frère de Berthe, mort avant 1789, laissant une veuve qui meurt en 1793 et deux enfants : Jules tué dans l’armée des Princes et Laurence, née en 1781, qui épouse Adrien de Hauteserre qui prend son nom – d’où deux enfants : Berthe qui épouse Georges de Maufrigneuse et Paul, député d’Arcis. MALIN DE GONDREVILLE : Malin de L’Aube puis comte Malin de Gondreville est un homme politique né en 1759 (Voir Ténébreuse affaire ; Paix du ménage). Epouse une Sibuelle, fille d’un fournisseur assez déconsidéré. D’où un fils, Charles, militaire, tué en 1823 qui a eu un fils naturel de Mme Colleville ; une fille Cécile qui épouse François Keller, député libéral puis comte et pair de France ; une autre fille qui épouse le duc de Carigliano. CORENTIN : Policier, né vers 1777. MARTHE : Femme de Michu (décès en 1806). Source généalogie des personnages: Félicien Marceau « Balzac et son monde » Gallimard.

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