Massimilla Doni
LA COMEDIE HUMAINE – Honoré de Balzac XVe volume des œuvres complètes de H. DE BALZAC par Veuve André HOUSSIAUX, éditeur, Hébert et Cie, Successeurs, 7, rue Perronet, 7 – Paris (1874)
Etudes philosophiques
MASSIMILLA DONI
Œuvre dédicacée A JACQUES STRUNZ Mon cher Strunz, il y aurait de l’ingratitude à ne pas attacher votre nom à l’une des deux œuvres que je n’aurais pu faire sans votre patiente complaisance et vos bons soins. Trouvez donc ici un témoignage de ma reconnaissante amitié, pour le courage avec lequel vous avez essayé, peut-être sans succès, de m’initier aux profondeurs de la science musicale. Vous m’aurez toujours appris ce que le génie cache de difficultés et de travaux dans ces poèmes qui sont pour vous la source de plaisirs divins. Vous m’avez aussi procuré plus d’une fois le petit divertissement de rire aux dépens de plus d’un prétendu connaisseur. Aucuns me taxent d’ignorance, ne soupçonnant ni les conseils que je dois à l’un des meilleurs critiques d’œuvres musicales, ni votre consciencieuse assistance. Peut-être ai-je été le plus infidèle des secrétaires ? S’il en était ainsi, je serais certainement un traître sans le savoir, et je veux néanmoins pouvoir toujours me dire un de vos amis.
Analyse de l’oeuvre Massimilla Doni est d’abord un souvenir du voyage que Balzac fit en Italie pour ses amis Guidoboni-Visconti, au début de l’année 1837 au milieu de la rédaction de Gambara. Ce voyage avait été un émerveillement. On le sent dans l’œuvre qu’il inspira à Balzac. Massimilla Doni commence par quelques-unes des pages les plus brillantes – ou du moins les plus brillantées – de Balzac. Une villa merveilleuse au pied de la montagne, un prince jeune, une maîtresse amoureuse, le décor le plus raffiné de l’amour, l’amour comme il n’existe que dans les rêves, enfin les Mille et une nuits : mais l’amant aux pieds de sa maîtresse, perdu dans son rêve d’amour, inerte, pétrifié dans cet amour idéal, savoure son bonheur immatériel auprès d’une maîtresse patiente et douce, qui attend. Les amants reviennent à Venise où Emilio Memmi, l’amant bohème, trouve son palais du Grand Canal somptueusement illuminé et loué pour la saison à la Tinti, cantatrice célèbre. Là commence l’action. Le sujet est audacieux.
L’Histoire Emilio Memmi, récemment fait prince de Varèse, est un prince pauvre. Il est profondément épris de la jeune duchesse Massimilla Doni, épouse du duc de Caetano. Le duc, vieillard blasé et corrompu est le protecteur de la cantatrice, Clara Tinti, pour qui il a loué, le temps de ses représentations à Venise, le palais dont vient d’hériter Emilio Memmi. Le duc de Caetano entretient un amour de tendresse tout paternel et la duchesse le respecte pour cette délicatesse. Massimilla doit rejoindre son mari à Venise et les deux amants décident alors de s’y retrouver. Lors de son arrivée, Emilio est surpris de trouver son nouveau palais illuminé, paré des fastes et des préparatifs somptueux qui précèdent une fête et croît que celle-ci est donnée en son honneur. Un dîner fin est servi dans la chambre et se félicitant d’un si bon accueil, il y fait pleinement honneur. Ensuite, se sentant las, il décide de se reposer sur le lit. Quelle n’est pas sa stupeur lorsqu’il voit surgir dans la pièce la Tinti suivi du duc de Caetano. A la vue d’Emilio, ce dernier, croit alors que la Tinti a un amant et cherche querelle à la cantatrice qui, heureuse de la situation, profite de l’altercation pour renvoyer le vieillard. Emilio est partagé entre son amour vertueux pour Massimilla et sa tentation à goûter les caresses que la Tinti lui promet. Il cède au plaisir de l’amour, plaisir qui lui laisse un goût de honte au cœur. Ce mariage de deux passions, l’une touchant le cœur, l’autre accaparant les sens, étiole l’âme pure d’Emilio qui, ne parvient plus à trouver la paix du cœur. A chaque fois qu’il retrouve Massimilla, il se sent coupable de sa trahison envers elle. Massimilla Doni se rend compte de l’état morose et dépressif de son amant. Lors d’une soirée à l’Opéra, celle-ci se trouve en compagnie d’Emilio et de Pierre, le médecin français qui fait partie de leur cercle d’amis. Le silence et la morosité affectés par Emilio l’invitent à converser avec Pierre sur les arcanes de la musique. Pierre se rend compte que la relation entre Massimilla et Emilio est tendue. Il invitera son ami à lui confier le mal qui le ronge et lui enseignera que l’amour qui unit deux être, est constitué, aussi bien, des sentiments du cœur que du désir des sens.
Analyse…suite Le sujet est audacieux. C’est l’histoire de ce que Stendhal appelait un fiasco : les conteurs du Moyen Age disaient « avoir les aiguillettes nouées ». Il s’agit de provoquer un réveil. On reconnaît dans cette situation un nouvel épisode de l’enquête menée dans Le Chef-d’œuvre inconnu et dans Gambara. L’abus de la pensée paralyse les impulsions naturelles, la fixation de l’imagination provoque une contemplation qui mobilise toutes les forces et les rend impropres à l’action. Balzac avait déjà eu cette idée cinq ans plus tôt, un peu après avoir écrit Louis Lambert. Il avait noté dans son Album le sujet suivant : « Les deux amours » : un homme qui couche avec des filles et se trouve impuissant devant la femme qu’il aime. L’âme absorbant tout à elle et tuant le corps. Triomphe de la pensée. » Cette esquisse du pouvoir destructeur de la pensée est tout le sujet de Massimilla Doni. C’est la cantatrice, prise d’une passion soudaine pour Emilio, qui accepte de présenter la potion salutaire. Grâce à l’obscurité, elle se fait passer pour Massimilla et s’arrange fort bien pour qu’Emilio sorte de son aparte. Ce triomphe fait tomber le rideau de cristal. Emilio est guéri et il fait même un enfant à Massimilla. C’est une conclusion logique selon la théorie de Balzac, mais aussi un dénouement que plusieurs critiques contestent pour son invraisemblance et sa désinvolture. Balzac a voulu, en outre, montrer dans sa nouvelle d’autres applications de sa doctrine. Les exécutants ne sont pas plus à l’abri de l’illusion que les créateurs. La Tinti, animal tout instinctif qui n’obéit qu’à ses impulsions, reçoit des ovations du public, tandis que son partenaire Genovese, poursuivant la perfection pure du chant comme Frenhofer poursuivait la perfection de sa peinture, fait le même fiasco que l’amant trop rêveur. De même Vendramin, patriote italien, invente dans les fumées de l’opium des batailles et des victoires imaginaires, il pleure en écoutant Mosé, l’opéra de Rossini qui raconte la délivrance des Hébreux, mais il est paralysé quand il faut agir. Ces trois exemples se recoupent et nous valent en passant une longue analyse de Mosé qui est le pendant des deux analyses de Gambara. Ils se recoupent et se complètent. Et ils présentent ainsi un mythe que Balzac n’expose pas mais qu’il souhaite que son lecteur devine. Ce n’est pas seulement l’amour, ni les exécutants qui sont ainsi paralysés par la pensée, c’est la loi de tout artiste, de tout créateur. Contempler une idée, un projet, un rêve est un plaisir divin mais ce plaisir stérilise la réalisation qui est effort, qui est œuvre d’honnête artisan. C’est la conclusion que Balzac proposait aux lecteurs de Massimilla Doni, « sujet psychique.. une merveille selon moi », disait-il à Mme Hanska, en définissant sa nouvelle comme « une belle illustration des plus intimes procédés de l’art ».
Les personnages Massimilla Doni : Florentine née en 1800, épouse successivement le duc Cataneo et Emilio Memmi, prince de Varèse. Emilio Memmi : Prince de Varèse. Vénitien, épouse Massimilla Doni, veuve du duc de Cataneo. Cataneo : Duc, mélomane sicilien. A épousé Massimilla Doni. Clara Tinti : Cantatrice italienne née en 1803, amante du duc de Cataneo, marié à Massimilla Doni. Pierre : Médecin français, ami du cercle des époux Cataneo.
1) Source analyse : Préface tirée du 23ème tome de La Comédie Humaine éditée chez France Loisirs en 1987, d’après le texte intégral publié sous la caution de la Société des Amis d’Honoré de Balzac, 45, rue de l’Abbé-Grégoire – 75006 Paris.
2) Source histoire : Encyclopédie universelle Wikipédia.
3) Source généalogie des personnages : Félicien Marceau « Balzac et son monde – Gallimard.
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