Melmoth réconcilié
LA COMEDIE HUMAINE – Honoré de Balzac XIVe volume des œuvres complètes de H. DE BALZAC par Veuve André HOUSSIAUX, éditeur, Hébert et Cie, Successeurs, 7, rue Perronet, 7 – Paris (1874)
Etudes philosophiques
MELMOTH RECONCILIE
Œuvre dédiée, A MONSIEUR LE GENERAL BARON DE POMMEREUL, En souvenir de la constante amitié qui a lié nos pères et qui subsiste entre les fils. De Balzac.
Analyse de l’0euvre Ce conte paru pour la première fois en juin 1836 dans un recueil collectif en 6 volumes intitulé le Livre des conteurs. Balzac, lorsqu’il eut besoin de l’intégrer à son œuvre, le plaça dans les Etudes philosophiques. Ce classement est tout naturel, Melmoth réconcilié étant évidemment un « conte philosophique » : mais il est difficile de le rattacher au système que Balzac prétendait exposer et développer dans ses Etudes philosophiques. Melmoth réconcilié n’est, en réalité, qu’un épisode ajouté par Balzac à l’un des romans les plus célèbres de la première moitié du XIXe siècle, Melmoth ou l’Homme errant, écrit en 1820 par le révérend Maturin « prêtre irlandais » et aussitôt traduit en français avec le plus grand succès. Le révérend Maturin, explique Balzac, avait repris l’idée de Goethe dans Faust mais en la traitant autrement. Le conte de Balzac, ajoutant un dernier épisode aux aventures de Melmoth, est une spirituelle critique du drame édifiant de Maturin. Si Maturin avait mieux connu son temps, il aurait compris qu’à une époque qui ne croit plus qu’à la fortune et au succès, Melmoth devait sans peine trouver un candidat à l’état bienheureux de milliardaire, seule béatitude que le siècle comprenne. Balzac, par cette raillerie boulevardière, ne change rien aux termes du problème. C’est ce qui fait l’intérêt et la portée philosophique de son conte. Il représente avec autant de force que Maturin la vanité des grandeurs humaines. Son Melmoth, pouvant tout, n’aspire plus qu’au seul bien qui lui soit défendu, l’amour de la création et la confiance en Dieu et en la promesse qu’il a faite aux hommes : en un mot, la paix du cœur que les jouissances et les grandeurs ne donnent pas. Ce drame intérieur de Melmoth, résumé en quelques pages, est la meilleure partie du conte : bien qu’il ne soit pas sûr que Balzac soit aussi convaincu que Melmoth de la vanité du succès et de la richesse. Mises à part ces solides réflexions d’un apôtre qui ne prêche pas d’exemple, le conte de Balzac n’est pas sensiblement supérieur aux contes fantastiques imaginés par ses contemporains. On ne croit guère à la détresse du caissier indélicat que Balzac présente à Melmoth comme une proie facile. On ne croit pas davantage, et même encore moins, aux fantasmagories par lesquelles Melmoth l’épouvante pour lui montrer les épreuves qui l’attendent s’il refuse d’accepter l’échange qu’il lui propose. Ce palais de mirages n’est qu’une machinerie d’optique qui n’a rien de commun avec la thèse de Balzac sur la puissance de l’imagination. Cette fantasmagorie se termine en vaudeville. Le caissier est débarrassé du grand amour auquel il sacrifiait sa tranquillité et son avenir par la scène classique de Boubouroche : il trouve un beau sergent caché dans une armoire. Le dénouement du conte, toujours fidèle aux procédés faciles des comédies du Boulevard, contient cependant un enseignement. Le caissier, détenteur du pacte, s’en réjouit, puis s’en fatigue, lui aussi, et le propose à la Bourse à un banquier en déconfiture qui l’accepte et s’en débarrasse à son tour auprès d’un entrepreneur en faillite. Cette bouffonnerie finale apprend au lecteur que l’épouvante causée par l’enfer a si peu de prix à une époque d’incroyance qu’elle n’est plus qu’une valeur parmi d’autres qu’on pèse, qu’on examine et qui est soumise comme les autres, selon les mœurs et les générations, à la dépréciation ou à la hausse. Ce n’est qu’une plaisanterie de journaliste. Mais elle est amère et assez juste. Melmoth s’est réconcilié avec les hommes parce qu’ils ne croient plus à rien : inutile de les persécuter pour qu’ils acceptent un pacte avec le diable, c’est une transaction qu’ils font tous les jours.
L’histoire Melmoth a fait un pacte avec le diable, il doit vivre cent cinquante ans et il a le pouvoir de réaliser tous ses souhaits. Bientôt cette toute-puissance entraîne chez lui le dégoût des jouissances et des grandeurs des hommes, il aspire à briser ce contrat qui ne lui a fait gagner que des biens illusoires. Il le peut s’il réussit à trouver un « remplaçant » qui prenne le contrat à son nom. Il se sert alors de son pouvoir pour placer des hommes dans une situation désespérée et il leur offre de les sauver en leur proposant de se substituer à lui. Il a le malheur de ne rencontrer que de bons chrétiens qui préfèrent leur salut éternel à la puissance de leur tentateur. Chacune de ses tentatives fait un épisode du roman.
Histoire et préface extraites du 23ème tome de La Comédie Humaine éditée chez France Loisirs en 1987, d’après le texte intégral publié sous la caution de la Société des Amis d’Honoré de Balzac, 45, rue de l’Abbé-Grégoire – 75006 Paris.
Paris, 6 Mai 1835
Les personnages Melmoth : John Melmoth, Anglais décédé en 1822. Euphrasie : Prostituée
Source généalogie des personnages : Félicien Marceau « Balzac et son monde » Gallimard.
No Comments